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Bref Aperçu de l'histoire de la peinture en Haïti


Article de Michèle GRANDJEAN, tiré du livre "Artistes en Haiti; Cent Parmi d'Autres; édité par l'Association pour la Promotion des Arts du Monde (APAM). Disponible sur internet à l'adresse :
http://www.refer.fr/haïti-ct/tur/musée


Avant que Colomb n'y posât le pied, l'île, qui était habitée par des Indiens, ne connaissait pas l'écriture, mais maîtrisait le dessin de signes utilisés pour les cultes ou les distinctions hiérarchiques.

Certains éthnologues pensent voir dans ces signes-symboles, retrouvés dans les fouilles, sur des parois, dans les amériques, l'origine des "vévé", dessins tracés à la poudre de brique, farine, marc de café, dans les temples vaudou par les prêtres afin d'attirer les loas (esprits) dont ils sont les emblèmes. Les vévé se trouvent actuellement dans la peinture, les étandarts, et même brodés sur les chemises de ville. Dès que les colons blancs furent assez bien installés dans leurs terres, ils voulurent décorer leurs demeures de peintures décoratives ou de portraits.

Les plus riches familles nobles ramenaient ces tableaux d'Europe ou faisaient venir des peintres occidentaux sur place. Les moins riches, dès le XVIIIe siècle, trouvèrent plus avantageux d'envoyer des esclaves noirs libres en France apprendre la peinture académique et exploitèrent leur savoir faire. On connaît ainsi le nom d'un portraitiste de Léogane, Luc, qui s'était fait une réputation à l'époque. Une seule oeuvre, le portrait d'un colon, actuellement en restauration, subsiste de ces temps là.

Tout de suite après l'indépendance -1804- la peinture historique s'est développée. le Roi Christophe, dans les provinces du Nord, s'intéresse à l'Art, crée une académie royale de peinture au Cap Haitien, fait venir le peintre anglais Richard Evans, en autres, pour enseigner. 1816-1818. Pétion, dans le sud du pays, également amateur d'Art et un peu peintre lui-même, crée une école d'Art à Port au Prince où vient enseigner le français Barincourt. 1816-1828.

De 1830 à 1860, la peinture historique et religieuse prend un grand essort, ainsi que le portrait. L'empereur Soulouque crée une académie impériale des Arts. On siat qu'environ 30 artistes haïtiens produisent, tant au Cap Haïtien qu'à Port au Prince. Une autre académie de peinture et sculpture est ouverte en 1880 par un haïtien, Archibad Lochard, une autre en 1915 par le même et Normil Charles.

Les visiteurs étrangers passant en Haïti au début du siècle disent qu'il n'y a pas de peinture dans le pays. En fait, la formation académique passant essentiellement par la copie, et le goût de l'élite bourgeoise portant à vouloir faire le plus européen possible, laproduction n'a rien de très originale.

En 1930, sous l'impulsion d'un américain, un groupe d'artistes se forme autour de Pétion Savin. En 1914, sont fondés le musée et le centre de recherche éthnologiques, ce dernier par Jacques Roumain. L'élite intélectuelle est toujours sous influence occidentale, mais commence a lever le désir d'être, surtout, haïtien. A l'indigénisme, courant littéraire des années trente, se rallie une partie de la jeune peinture. Dans la même période, au Cap Haïtien, un peintre autodidacte, Philomé Obin, né en 1891, peignait des cérémonies maçonniques, et des évênements historiques comme le pésident Roosvelt faisant évacuer les troupes américaines (1934). Son frère Sénèque était également peintre.

1934, Dewitt Peters, aquarelliste et chargé d'enseigner l'anglais est envoyé par l'armée des USA à Haïti.Il ouvre très vite un centre pour les jeunes intellectuels désireux de se familiariser avec l'art moderne. En février 1944, il reçoit le président Roosvelt de Philomé Obin, qui le laisse perplexe. En mai 1944, le centre d'art est inauguré à Port au Prince. Les jeunes artistes de l'élite bourgeoise y recevront un enseignement plus moderne, la viste d'intellectuels étrangers (en 1945, André Breton, W. Lam), suivront des conférences et poursuivront leur chemin vers la peinture de leur temps. Dans leur lignée, de bons artistes fournissent un travail de qualité, toujours influencé par les courants occidentaux ou américains, portant cependant la touche personnelle de chaque peintre. Dewitt Peters visitait Haïti, avec ou sans ses élèves. Un jour, il passa devant la porte d'un bar, à St Marc où des coqs rutilants de couleurs le frappèrent. Hyppolite, peintre en batiment, peut être un hougan, autodidacte, en était l'auteur. Peters eut le choc. dans ce peuple haïtien, fou de couleurs et sans complexes, n'y avait il pas le réservoir d'énergie susceptible de boulverser l'art fatigué du vieux monde?

En débutant la grande aventure du centre d'art. Tandis que les jeunes gens de l'élite continuaient leurs travaux au premier étage, en bas, Dewitt Peters recevait des autodidactes a qui il fournissait du matériel pour peindre autre chose que des portes de bars, des decors de Houmfo ou des étandards cérémoniels. Hyppolite vint. Rigaud Benoit, Castera Bazile, Wilson Bigaud, Saint Brice, tous d'origine modeste, sans la moindre notion d'académisme, projetaient sur les toiles leurs visions naïves et lumineuses, inspirées surtout par le vaudou. André Breton, en 1943, puis en 1945, vient à Haïti, et trouve en ces oeuvres l'echo de ses théories surréalistes. Il écrit un texte autour d'Hyppolite, "peinture et surréalisme" qui a des effets sur l'intellegenzia française. Jean Paul Sartre vient en 1949. Selden Rodman, américain, rejoint Dewitt Peters au centre d'art. Rodman a déjà publié le trvail d'un peintre noir américain autodidacte. Il s'installe en Haîti et conçoit avec Peters l'idée d'initier à la fresque le groupe des autodidactes du centre d'art. En 1951, l'extraordinaire décoration murale de la cathédrale épiscopale de la Sainte trinité est inaugurée. Hyppolite est mort en 1948. Wilson Bigaud, Castera Bazile, Rigaud Benoit, Philomé Obin, Préfete Duffaut, ainsi que Gabriel Levêque, Adam Léontus, Jasmin Joseph, un peu plus tard exécutent une oeuvre fondamentalement haïtienne, neuve, vigoureuse et bouleversante, comme les plus belles du Quattrocento. Le grand mouvement de l'art naïf haïtien était laché sur le monde des arts comme une bombe. Le musé d'art moderne de NY achète des toiles, Times Magazine reproduit les fresques. Mais les "naïfs" ne l'était déjà plus, dans le sens ou, ayant parfaitement assimilés les techniques et acquis une maitrise totale, ils avançaient, chacun dans son propre style, vers la découverte de la notion- 1) que peindre peut être un métier, 2) qu'un homme qui fait métier de peindre est un artiste. En 1951, lors de l'inauguration des fresques, la mutation était achevée.

Le centre d'art a fait des enfants, comme le foyé des arts plastiques. Puis de 1956 à 1966, outre de nombreux ateliers comme la Brochette ou Calfou, les plus importante Galerie se crée à Port au Prince. de grandes expositions ont eu lieu à l'étranger, au USA, au Brésil, à Dakar. Le nombre de peintres, des styles se diversifie et augmente.

En 1953, Dewitt Peters, toujours lui, decouvre à Croix des Bouquets, à 30 km de Port au Prince, dans un cimetière, des croix en fer forgé très proches des vévé. Qui est le forgeron de génie? Georges Liautaud, un artisant qui répare les pompes à eau. Petters l'encourage à exploiter son talent. Commence la superbe aventure des sculptures découpées dans les "Dwoum" bidon de fuel récupérés à bout d'usage. Une lignée de "bosmétal" démarre, toujours implantée à Croix des Bouquets, et fortement liée au vaudou. Saint Juste, Bien Aimé, Jolimeau... Puis des artisants s'avisent de peindre, avec de la peinture pour voiture, les oeuvres des "bosmétal". Tap-tap, coqs de combat, soleil, perroquets, rutilent désormais: la "peinture bidon" est née. Les Houmfo sont décorés, en plus des peintures murales, de drapeaux dédiés aux différents loas (esprits) et portant leur emblême, vévé au cours de cérémonies. Il paraît que dès 1919, un riche mulâtre, Hougan, de passage à Paris est céduit par les brillants costumes des Folies Bergères ( ou autre lieu du genre) eut l'idée de demander à un fabriquant de costumes de scène de lui faire des drapeaux garnis de paillette pour son houmfo. Les étendards séduisent. La paillette gagne les artistes et les drapeaux cultuels deviennent vite oeuvre d'art que l'amérique s'arrache.

Le toursime afflue. L'étranger achète. La peinture, la sculpture, les drapeaux perdent leur première vertue de naïveté pour devenir objets de commerce. Une réaction deviendra célèbre. Deux jeunes intellectuels, Tiga et Maud, décident d'installer, en 1972, un atelier en pleine montagne, à Soisson, un petit village au dessus de PétionVille. Ils donnent aux paysans de l'argile, puis des crayons et de la peinture. La communauté de Saint Soleil produit des oeuvres puissante, enracinées dans le vaudou. Parmis les paysans illettrés se révèlent de grands artistes. Prospere Pierre Louis, Louisiane Saint Florent, Levoix Exil, Loiseul, Antilhomme et d'autres. En 1976, quelques mois avant sa mort, André Malraux leur rend visite. Il consacrera un magnifique chapitre de sa derniere oeuvre, "l'intemporel" aux inspirés de Saint Soleil. La veine " authentique" semble retrouvée. Expositions, publications d'ouvrages d'art (J-M. DROT, Jakovsky, Selden Rodman) font connaître l'art haïtien en Europe, en amérique. On adore, on adule. Puis il y a comme une lassitude, le nombre d'ariste est devenu si élévé - sans doute la plus forte proportion du monde par rapport à la population - que Dewitt Peters, décédé en 1966 n'y reconnaîtrait pas ses petits.

Où en sommes nous aujourd'hui? Les "naifs haïtiens" a quelques exceptions près, sont devenus savants, autodidactes ou non. Le terme "primitifs modernes" convient mieux, et beaucoup le revendiquent. L'école du Nord, Cap Haïtien, dans la lignée un peu austère de Philomé Obin; Ecole du sud, dans l'exubérance du Port de Jacmel, avec Préfète Duffaut comme chef de file; Ecole de l'artibonite avec les minutieuses délicatesses des icones d'ismael Saincilus; le centre d'art, dirigé par Francine Murat, perpétue la tradition d'une peinture "dite naïve" en encourageant tous les talents parmi lequels encore quelques vrais naïfs. Saint Soleil est devenu les cinq soleils qui exploite en atelier une production un peu artisanale et puissamment originale.Parmi les modernes haïtien gnéralement issus de la bourgeoisie intellectuelle, qui ont étudié l'art académique et l'art contemporain occidental, quelques beaux talents se détachent. Soutenus part Gérald Alexis, coservateur du Musée d'Art Haïtien du collège St Pierre et d'autres amateurs avisés, certains rivalisent avec les meilleures productions internationales et sont insérrés dans le marché mondial. Des expositions au Musée du Panthéon, le MUPANAH, les présentent régulièrement. Jean René Jérôme, recemment disparu, Philippe Dodard, pour n'en citer que deux, s'inscrivent dans la recherche plastique de notre temps. Le faite qu'ils soient haïtiens, bien qu'influençant forcement leur travail, n'est qu'une incidence. Ils ne relèvent pas de l'art plus populaire qui nous interesse ici. C'est une autre école, dont nous n'avons mentionné qu'un jeune représantant, Pascal Smarth.

Une convention a classé de 1945 à 1988- Exposition au Grand Palais à Paris - les peintres part génération. La première, deuxième, troisième ont bien été décrites. Nous sommes, en 1996, à l'orée de la quatrième. La caractériser est impossible. L'art haïtien est froisonnant. Tout les styles possibles, du plus naïf au plus sophistiqué, y sont exploités. Surréalistes, hyper-réalistes, impressionnistes, primitifs modernes, miniaturistes, irréalistes, ou art brut retournant aux prémices. Sources puisées partout. Mais qui par la magie du pouvoir créatif de ce peuple, prennent en passant par ses mains, des couleurs, des formes, une atmosphère qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. La quatrième génération attend sont exégète. Il aura un gros travail.

M.G.

La très grande majorité des artistes Haïtiens présentés dans cette galerie sont de cette quatrième génération.